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En Bosnie-Herzégovine, la problématique environnementale, notamment la pollution de l’air et le traitement des déchets industriels, est une question majeure à laquelle les gouvernements n’apportent pas de réponse. Entre inaction et résignation des décisionnaires et des anciennes générations, la jeunesse de Banja Luka insuffle espérance, combativité et inventivité. Mais face à l’urgence de la situation climatique, les jeunes Baniluciens appellent à un soutien et à des moyens concrets de la part des politiques et de la population.
Par Corentin Mirallés, Žana Ćetojević, Amina Ramić
Marko, jeune homme de 22 ans, n’était pas né quand une partie de la zone d’activité du groupe Incel, située juste à côté de chez lui, a été abandonnée. Fleuron de l’industrie énergétique et chimique de l’époque communiste, l’entreprise est aujourd’hui pointée du doigt pour ne pas avoir détruit et recyclé le pyralène.
L’huile hautement toxique a été interdite en 2010 par la Convention de Stockholm rassemblant 152 pays qui se sont engagés à nettoyer les sites contaminés. Mais le pyralène, utilisé notamment pour les transformateurs électriques, est une substance difficile à faire disparaître et le centre d’élimination le plus proche de la Bosnie-Herzégovine est en Croatie. Une distance que les autorités bosniennes n’ont jamais voulu parcourir, laissant depuis 30 ans l’huile se déverser dans les sols et dans les rivières.
Un drame pour les populations qui vivent autour de ces anciennes usines. Dans sa famille, Marko n’est pas le seul à souffrir d’une bronchite chronique. Son frère et lui ne se déplacent pas sans leur inhalateur : “Cela se manifeste par des crises d’asthme, explique-t-il. J’ai des pressions au niveau de la cage thoracique, j’ai du mal à respirer”. Même si l’impact de cette substance sur la santé humaine autour de ces usines n’a jamais été officiellement prouvé, certains habitants autour d’une usine semblable à Sarajevo ont constitué un dossier médical et des médecins soupçonnent un lien entre des maladies et l’huile toxique.
Entre vieilles voitures et chauffage au charbon : un air irrespirable
Le centre environnemental de Banja Luka accuse les pouvoirs publics d’entretenir des doutes au sujet des causes de la pollution, notamment en ne prenant pas au sérieux les études scientifiques menées sur les zones polluées. Et les habitants de la zone industrielle d’Incel ne sont pas les seuls à être concernés par les problèmes environnementaux.
À Banja Luka comme dans le reste de la Bosnie-Herzégovine, la principale problématique environnementale reste la qualité de l’air. Sarajevo, la capitale du pays, est régulièrement sur le podium des villes les plus polluées au monde : “La Bosnie est connue pour utiliser un charbon de mauvaise qualité” explique Ivana Kulić, coordinatrice des membres du centre environnemental. Mais depuis 2018 face à l’augmentation du prix du bois, les habitants n’ont pas d’autre alternative pour se chauffer et “leurs installations sont souvent vétustes et dépourvues de filtres à air ”, ajoute Saša Škorić, chargé de la communication au centre environnemental.
Un parc automobile vieillissant constitué de voitures d’occasions venant principalement d’Allemagne et de France conjugué à un réseau de transports peu efficace et desservant une petite partie de la ville seulement forment avec le chauffage au charbon un important cocktail de pollution aux particules fines. “L’hiver il y a la pollution, le printemps et l’été le pollen et les allergies, il n’y a qu’en automne où je suis vraiment tranquille. Quand la nature s’endort, je commence à me réveiller”, philosophe Marko, qui aimerait bien plus d’espaces verts. “Un des principaux parcs de la ville a été détruit et maintenant il y a un grand bâtiment à la place. Et les forêts autour de Banja Luka sont détruites pour le chauffage et pour les nouvelles routes”, nous apprennent les activistes du centre.
Une absence de prise de conscience de l’enjeu environnemental
Pour sensibiliser les habitants à ces problématiques, le centre environnemental a développé un programme en trois axes : les transports, la biodiversité et le changement climatique. Ivana, Saša et leurs camarades tractent, collent, organisent des manifestations, font signer des pétitions et une fois par mois ils font des tours de vélo devant l’un des musées de Banja Luka pour réclamer plus de pistes cyclables et moins de voitures.
Mais ils déplorent une absence de prise de conscience générale de la population bosnienne. Même constat pour Petar, Tatjana, Jelena et Vladan, étudiants en écologie à la faculté des sciences de Banja Luka : “Pour beaucoup de gens, les problèmes personnels sont plus graves que les problèmes environnementaux. Ils ne comprennent pas que ce qu’ils font polluent. Certains vont jeter quelque chose loin de chez eux en pensant s’en débarrasser mais ils ne comprennent pas que cela aura un impact négatif plus tard dans leur vie”.
Pour le centre, le manque d’engagement des jeunes s’explique surtout par la forte précarité de ces derniers : “C’est difficile de trouver des jeunes motivés parce que beaucoup partent de Bosnie-Herzégovine pour trouver du travail ailleurs en Europe”. Alors travailler gratuitement à travers le bénévolat semble souvent inconcevable pour eux : “Comment être prêt à t’occuper des problèmes environnementaux quand tu n’arrives même pas à trouver un emploi ?”, demande dépitée Milica Končar, engagée au centre depuis un an.
En faisant le choix de très peu parler de l’urgence environnementale, les médias du pays sont également accusés de ne pas aider à dénoncer ces comportements. Les mouvements de jeunesse initiés par Greta Thunberg ont été très peu médiatisés par les journaux bosniens : “On en a surtout entendu parler sur les réseaux sociaux. Les médias préfèrent proposer des programmes abrutissants et débattre de faux problèmes”, déplorent Petar et Tatjana.
Les politiques ne sont pas non plus en reste. Même si le pays a signé l’accord de Paris en 2016 et que des lois pour protéger l’environnement existent, notamment un plan d’action en 2017 pour rapprocher la législation environnementale du pays de celle de l’UE, “ces règles sont rarement respectées”, se désolent les étudiants.
L’État doit se mobiliser, pas seulement les citoyens
Pour les écologistes, l’État profite du manque de mobilisation. Pire, les partis politiques nationalistes agitent régulièrement le spectre de la guerre pour dissuader les citoyens de manifester ensemble. “Si les jeunes commencent à manifester pour l’environnement, ils le feront pour d’autres thématiques y compris pour la corruption des politiques”, analysent les activistes. Autre frein : la religion, encore très présente et régulièrement utilisée pour dissuader les individus d’agir contre l’ordre établi.
Dans cette société conservatrice, les clichés et les stéréotypes ont la vie dure. Parmi les quatorze jeunes que compte l’association environnementale, un seul est un homme. En Bosnie-Herzégovine, le combat environnemental est perçu comme une activité féminine, sensible et légère. De quoi faire perdre toute crédibilité aux hommes qui aimeraient s’engager.
L’éducation comme solution
Une situation qui ne changera pas tant que “personne ne promouvra la pensée critique”, observe Tatjana, et que “les parents diront à leurs enfants de se taire, qu’ils ne sont pas assez intelligents pour penser par eux-mêmes ou pour faire changer les choses”, ajoute Milica. Marica Đervida, professeure de géographie dans un lycée de Banja Luka, pense que l’éducation passe aussi par l’enseignement. Mais pas évident de trouver la bonne méthode pour intéresser et sensibiliser des lycéens à l’environnement.
Dans le cadre d’une activité extra-scolaire, elle a donc multiplié les activités liées à l’environnement : “J’ai choisi d’attirer l’attention des élèves sur les rivières, la pollution de la terre et de l’air ou sur le changement climatique”, explique l’enseignante. Elle les a aussi emmenés suivre des cours d’écologie à la fac : “Si on n’est pas informés sur un sujet, on ne peut pas le défendre”. Et si selon elle, il n’est jamais trop tard, c’est toujours mieux de commencer le plus tôt possible.
Après cette virée à l’université, Marica a imaginé un concours entre les élèves avec pour objectif de concevoir divers projets écologiques. À la clé pour le groupe victorieux ? 2000 BAM (environ 1000€). Une coquette somme que les gagnants, qui avaient imaginé un lycée écologique avec un toit de verdure et des parties consacrées à la biologie et à l’écologie, ont utilisée pour s’acheter des vélos, histoire de rester dans la thématique écolo.
Le manque d’opportunités explique le désinvestissement de la jeunesse
Trente lycéens ont participé au projet et ont ensuite pris part à l’installation de poubelles de tri dans le lycée : “Ils étaient vraiment volontaires. J’ai été surprise que mon cours reçoive un tel succès”, se réjouit la professeure. Pour elle, le problème est le manque d’opportunités offertes aux jeunes : “Les anciennes générations sont coupables de ne pas permettre à la jeunesse de se réaliser. Elles ne montrent pas l’exemple. Comment attendre des jeunes un changement si on ne leur donne aucun moyen d’évoluer ?”.
Du point de vue de Đorđe, l’un des élèves de ce lycée, “c’est trop compliqué de changer les choses” mais pour Jelena et Nađa, lycéennes dans le même établissement : “Les autres ne font pas attention à leur comportement, ils ne respectent pas les poubelles de tri par exemple. Or si on est soutenus et unis, on en est capables.”
Une vision d’unité que partage Saša du centre environnemental : “Il faut un mix entre l’énergie des jeunes et l’expérience des plus âgés. Et surtout n’exclure personne sinon on n’arrivera jamais à se rassembler pour avancer”.
L’avenir repose sur la jeunesse
Marko, inhalateur en poche, rappelle l’histoire particulière de la Bosnie-Herzégovine, marquée par la guerre et les conflits communautaires : “Si on était une démocratie parfaite, on pourrait s’occuper de l’environnement mais on ne peut pas oublier les autres problèmes qui provoquent tous nos ressentiments”.
Pourtant au mot futur, c’est l’espoir qu’il choisit d’associer. Un espoir embrassé par Petar et ses camarades : “Le changement va venir des jeunes parce que c’est sur eux que le monde repose aujourd’hui”. Pour cela, les étudiants exhortent les pays les plus riches à leur venir en aide et à développer des solutions, des idées, notamment “à travers les nouvelles technologies”. Marica aimerait aussi davantage de soutien de l’Union européenne pour sensibiliser les jeunes et la population en général à l’urgence environnementale.
En attendant que, comme le prédit Milica, les nouvelles générations “pleines d’énergie et de volonté” changent les choses, Marko, lui, plante un arbre chaque année : “Pas seulement pour moi ou pour ma famille, mais pour purifier l’air, pour tout le monde”. Une initiative partagée par les étudiants de la faculté d’écologie qui à chaque naissance plantent un nouvel arbre, comme pour tenter de contrebalancer la pollution engendrée par leurs aînés. Ils espèrent que les responsables politiques répondront un jour à leur appel et donneront aux futures générations les moyens d’améliorer la situation.