Léo Durin : « Ko ne reskira ne profitira »

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Ko ne reskira ne profitira : en bosnien, ça veut dire qui ne tente rien n’a rien. Mon reportage à Banja Luka m’a permis de vérifier ce vieil adage – attesté depuis le XVè siècle.

J’étais très content de travailler sur la Yougonostalgie, mais j’avoue m’être demandé au début s’il y avait vraiment un sujet. À part un chanteur que mes camarades interprètes Anja et Goran ne connaissent pas et le groupe Facebook de l’association locale Josip Broz Tito, dont les messages les plus récents datent de 2010, je n’avais pas trouvé grand-chose. Tout le monde est yougonostalgique, mais peu de gens semblent l’exprimer publiquement.

Arrivé sur place, j’ai quelques réponses mais une des organisatrices, Marie*, s’inquiète un petit peu et m’explique que je ne dois pas m’y fier. Je me résous alors à faire un micro-trottoir, sur les conseils de la journaliste reporter d’images Christina. J’ai trouvé ça un peu regrettable, dans la mesure où je voulais faire un joli reportage sur la Yougonostalgie, qui est un sujet très visuel. Nous interrogeons quatre ou cinq personnes, quand une dame à l’élégance sociale-réaliste nous approche. “Vous êtes les étudiants français qui étudient la Yougonostalgie ?! Il est temps de rencontrer Mirko, maintenant.

J’allais enfin réussir à rencontrer Mirko Raca, le fondateur de l’association Tito, un orateur énergique au service de la gloire du Maréchal. C’est pour cette figure élusive et mystérieuse que j’étais venu à Banja Luka. Il m’accueille gentiment, élégant lui aussi dans son costume. Ses locaux ressemblent à une petite église dédiée à Tito. Les bustes de l’ancien dirigeant yougoslave surplombent le bureau de Mirko, qui s’est attelé à la tâche ardue de préserver la mémoire du Maréchal en Bosnie-Herzégovine – une antenne à Zagreb se charge de la Croatie. Des canapés tout à fait normaux au premier regard cachent en fait des doubles fonds qui contiennent la littérature communiste sauvée des purges du régime post-communiste. Sans micro-trottoir, j’aurais manqué mon rendez-vous avec un homme, que Anja, Goran, Christina et moi croyions prévu pour le lendemain.

Le moment passé dans les locaux de l’association Tito a filé comme un rêve. Mais ce n’était pas suffisant. Après avoir vu Mirko Raca, il était impensable que je quitte la ville sans avoir pu voir l’autre monument de la yougonostalgie banilucienne : le spomenik à la gloire des soldats tombés dans la lutte contre l’occupant nazi. Arrivés au pied de la montagne sur laquelle il se dresse, un nouvel obstacle nous attend : une barrière électrique et un gardien intraitable qui résiste aux assauts répétés de Goran. Impossible de monter plus loin en voiture.

Le soleil commence à se coucher, et nous ne pourrons pas filmer le monument dans le noir. Il faudra finalement toute la ruse d’une de nos accompagnatrices, Annick*, pour échapper à la surveillance du cerbère qui gardait la montagne. Je repars donc, grâce à l’audace de nos accompagnatrices, avec le sentiment du travail bien fait.

*Ce prénom a été modifié.

*L’association de Mirko Raca.