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Lourdement détruite pendant la guerre de Bosnie-Herzégovine dans les années 90, l’université Džemal Bijedić, située dans la partie à majorité bosniaque de Mostar, est toujours délabrée. Les rénovations peinent à être mises en place. Les étudiants espèrent des changements.
Par Inès Abandarat et Alin Ćeremida (avec la contribution de Nika Komarić, Haris Kamberović et Nataša Petrović)
Des ruines, des édifices délabrés de toutes parts : voici à quoi ressemble l’université Džemal Bijedić, nichée du côté Est de Mostar. Depuis la guerre de Bosnie-Herzégovine entre 1992 et 1995, cette institution académique n’a bénéficié que de rénovations partielles. Emin* fréquente la faculté de droit depuis plusieurs années et occupe la fonction de délégué au sein de l’association des étudiants. Il déplore l’état délabré de son campus et exprime les difficultés rencontrées par son université depuis des décennies. En parcourant les différents bâtiments du campus, les stigmates de la guerre sont toujours visibles, figés dans le temps. Les ruines évoquent les heures sombres du conflit, tandis que les terrains de football et le stade se détériorent lentement, abandonnés à leur triste sort.
Pendant que certains étudiants s’adonnent à la course sur un terrain vague, d’autres se dirigent vers leurs salles de classe. Emin partage : « Il y a beaucoup de ruines au sein de notre université. Des centres ou des infrastructures pourraient être construits à la place de ces vestiges, ce qui serait bénéfique pour les étudiants, les professeurs et le personnel ». Si tant de rénovations sont nécessaires au sein de l’université, c’est parce qu’elle a servi de caserne militaire pendant le conflit et a été privée de son infrastructure et d’une partie de son personnel enseignant lors de l’éclatement de la Yougoslavie, il y a plus de 30 ans. Aujourd’hui les dégâts sont encore visibles, faute de rénovations et d’investissements, laissant les étudiants chaque jour dans l’angoisse de voir les bâtiments s’effondrer. Parmi les plus touchés se trouve une partie de l’université de droit qui n’a pas encore été rénovée.
Classes fermées
C’est ici qu’enseigne Kenan B.*, professeur de droit. « Les étudiants craignaient d’étudier dans certaines salles de classe par crainte qu’elles ne s’effondrent », témoigne-t-il. Ces dernières années, plusieurs séismes ont frappé Mostar, dont un de 5,7 en 2022, faisant un mort et plusieurs blessés dans la ville de Stolac, située à une quarantaine de kilomètres. La secousse a considérablement fragilisé l’édifice, nous explique l’enseignant. « Nous avons déjà eu des cas dans certaines classes lorsque des briques sont tombées de ce bâtiment, nous avons eu la chance de ne pas être blessés ». Depuis, ces classes ont été définitivement fermées. Dans l’université règne un silence pesant. Une forte odeur d’humidité se dégage des salles de classe. « Les étudiants n’éprouvent plus le désir de fréquenter ces lieux. Les conditions ne sont pas propices à l’apprentissage », poursuit l’enseignant.
Bien qu’il y ait eu plusieurs réparations effectuées depuis 2005, dont celles du bâtiment des facultés de pédagogie, d’économie et de mécanique, certains problèmes demeurent perturbants, à commencer par le chauffage. Selon l’enseignant, chaque salle de classe nécessite « des améliorations urgentes » pour assurer un environnement d’apprentissage adéquat. « Pour l’ensemble des salles de classe du deuxième étage, nous n’avons que deux climatiseurs réversibles, qui ne chauffent presque pas, donc nous ne pouvons pas y donner de cours », déplore-t-il. Afin de réduire la facture d’électricité, des projets d’installation de pompes à chaleur ont été annoncés par l’université. « Ces modes de chauffage seraient bénéfiques sur le long terme », explique Kenan B.
Un plan d‘avenir pour l‘université
L’université s’efforce pourtant de répondre aux besoins et attentes des étudiants. Le ministère de l’Éducation de la Fédération, l’entité croato-bosniaque du pays, a promis une enveloppe de deux millions de marks convertibles, soit un million d’euros, pour aider à couvrir les frais de scolarité des étudiants et les salaires des professeurs. Contactée, la rectrice de l’université, Alena Huseinbegović, met en avant « le manque considérable de budget » pour répondre à l’urgence de rénovation de certaines salles de classe. L’université a en effet soumis une demande au ministère fédéral des personnes déplacées et des réfugiés pour obtenir l’approbation de fonds pour réparer le toit du bâtiment. « La demande devrait être approuvée prochainement et nous commencerions alors immédiatement à construire un nouveau toit, ce qui est le plus nécessaire et le plus important pour la sécurité des étudiants », explique la rectrice. L’université a déjà obtenu une aide financière pour améliorer les toilettes et réparer l’intérieur du bâtiment. Mais les travaux débuteront une fois la toiture terminée. « Nous manquons d’argent pour les fenêtres et la façade, mais nous y travaillerons à l’avenir, afin de rénover entièrement le bâtiment », poursuit Alena Huseinbegović, qui se dit convaincue que les travaux auront lieu dans un avenir proche.
Certaines nouveautés sont déjà apparues au sein du campus. L’an dernier, une résidence universitaire y a été construite, grâce à un financement conjoint de la Turquie, du conseil municipal et du canton d’Herzégovine-Neretva, l’un des dix cantons de l’entité bosno-croate où est situé Mostar. Pour les étudiants et le personnel, cette résidence symbolise une avancée concrète. La résidence Antalija possède 22 appartements modernement équipés et peut accueillir 180 étudiants. Elle comporte une clinique étudiante, un centre de conseil psychologique et un service de santé. Pour le délégué des étudiants, ces avancées ne suffisent pas : « Il est essentiel d’envisager la construction de nouveaux centres et infrastructures éducatives, idéalement situés à proximité de la résidence universitaire, pour offrir un environnement d’apprentissage optimal », explique Emin.
« Nous manquons d’argent pour les fenêtres et la façade, mais nous y travaillerons à l’avenir, afin de rénover entièrement le bâtiment. »
Alena Huseinbegović
Des rénovations en cours
Les couleurs vives de ces nouveaux logements donnent une image de modernité au sein du campus. Les grandes fenêtres apportent la luminosité nécessaire à chaque appartement, tandis que des balcons spacieux sur chaque étage offrent un espace extérieur et une vue dégagée sur le reste du campus. Le parking, presque toujours complet, fait de ces logements une option attrayante. De nombreux étudiants ont emménagé dans ces nouveaux appartements depuis leur construction l’an dernier. C’est le cas d’Emina*, étudiante en 3ème année de licence de sciences sociales. Bien qu’elle reconnaisse certains dysfonctionnements de l’université et le manque de moyens de cette dernière, elle se sent épanouie au sein du campus. : « J’ai décidé de venir à Mostar car j’apprécie la tranquillité de cette ville et le fait que la faculté soit proche de chez moi », explique-t-elle. « De plus, les professeurs sont accessibles et bienveillants, ce qui rend l’apprentissage plus agréable ». Emina se dit satisfaite de son choix d’université et n’hésiterait pas « à le refaire » si elle devait recommencer. Comme elle, de nombreux étudiants de l’université Džemal Bijedić ont espoir de voir les choses continuer de changer.
« J’ai décidé de venir à Mostar car j’apprécie la tranquillité de cette ville et le fait que la faculté soit proche de chez moi. De plus, les professeurs sont accessibles et bienveillants, ce qui rend l’apprentissage plus agréable. »
Emina
*Le nom de la personne a été modifié pour préserver son anonymat.