L’idée de départ était de s’intéresser à la gestion des déchets à Mostar. La mairie venait d’adopter un plan écologique et comptait disséminer des bacs à compost un peu partout dans la ville. Quelques articles abordaient déjà le sujet, montrant qu’il existe un réel problème avec le tri et le recyclage. La ville, marquée par le conflit, est séparée en deux : dans la partie Ouest, une majorité de Croates et dans la partie Est, des Bosniaques. Jusqu’au mois de février, cette séparation concernait aussi les services de ramassage des déchets. Un nouveau plan vert, une réunification de ces services publics, une décharge (Uborak) qui a pris feu plusieurs fois… Toutes les conditions sont réunies pour un bon sujet !
En suivant les conseils d’Irfan et de Catarina, et après beaucoup d’hésitations, l’angle s’est resserré autour des conséquences de la mauvaise gestion des déchets sur l’environnement et les êtres humains. Plus particulièrement sur la Neretva, un fleuve très important dans la région, qui traverse Mostar.
Pour écrire notre article, nous avons pris soin d’écouter les écologistes et les responsables de la déchetterie. Les deux camps ont été très faciles à approcher. Le premier jour de terrain, en même temps qu’un autre groupe, nous avons rencontré le maire. Nous sommes allés à la décharge d’Uborak les deux jours suivants. La première fois que nous avons visité les lieux, Catarina a tout de suite commencé à prendre des photos, tant que personne ne le lui interdisait. Nous avons aperçu le directeur de la déchetterie qui a facilement accepté un rendez-vous pour le lendemain. « Je tiens à souligner que c’est la première fois que je m’adresse aux journalistes car jusqu’à présent, je n’ai jamais voulu créer de conflit ou de querelle », a-t-il confié en entretien.
Ce jour-là, nous devions rencontrer l’activiste Omer Hujdur juste devant l’entrée de la déchetterie. C’était avant de savoir que les deux hommes ne se supportaient pas. S’ils se croisaient, nous mettions en péril notre rendez-vous avec le directeur. Il a donc fallu improviser un nouveau lieu de rencontre pendant que nous étions en pleine visite de la décharge ! Irfan a passé un coup de fil l’air de rien pour prévenir Omer Hujdur.
Nous nous sommes ensuite rendus au sommet de la colline depuis laquelle on peut voir l’arrière de la décharge. Là, tout s’est accéléré. Omer Hujdur a contacté l’actuel président du mouvement écologiste, Fuad Hujdur, qui a aussi accepté de nous revoir. Les discussions informelles s’enchaînaient, la parole était libre. Catarina a notamment pu longuement discuter avec une personne qui ne voulait pas être mentionnée dans l’article, mais qui nous a donné des informations supplémentaires. Grâce à elle, nous savons que le sujet est tentaculaire et que beaucoup de questions restent en suspens.
Tout au long du reportage, Irfan et Catarina ont dû redoubler d’efforts et s’adapter rapidement. C’est-à-dire apprendre à utiliser un vocabulaire technique pour qu’il n’y ait pas d’erreur de traduction et de compréhension. Mais aussi mener des interviews : ils ont dû rebondir et demander des précisions, même quand elles étaient gênantes ou dirigées à des sources intimidantes. « Que pense l’administration des associations qui luttent contre la fermeture de Uborak ? Êtes-vous au courant qu’en 2021, un groupe de journalistes a constaté que les eaux usées produites par la décharge polluent le ruisseau qui se jette dans la Neretva ? ».
Donner tous les détails semble difficile. Nous avons touché à un sujet sensible. Nous le savions à la manière dont notre groupe était accueilli, aux mots choisis, au ton employé et aux regards de nos interlocuteurs, souvent frustrés de ne pouvoir davantage en parler.