Agathe Harel : « Collaborer avec les Bosniens se révèle à la fois rassurant et extrêmement déstabilisant. »

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La formation de journalisme à Banja Luka, principale ville de l’entité serbe de Bosnie-Herzégovine, a des airs de colonies de vacances. Vingt-cinq étudiants français et bosniens cohabitant dans la même auberge de jeunesse, ensemble vingt-quatre heures sur vingt-quatre pendant une semaine.

Il faut choisir son moment pour se doucher. Certains se lavent le matin, d’autres préfèrent le soir. L’eau chaude devient vite une denrée rare. Chacun en apprend plus sur la vie en Bosnie lors des petits moments du quotidien.

Après quelques jours de timidité, pendant lesquels nous nous sentons plus à l’aise auprès des étudiants issus de notre pays, la gêne s’envole et nous nous mélangeons, partageons, plaisantons.

Pour notre projet d’article, chacun de nous travaille en collaboration avec de jeunes Bosniens, qui ne sont pas familiarisés avec le journalisme et ne partagent pas toujours nos principes sur de nombreux sujets. Mettre en cause un responsable politique en lui posant une question un peu frontale ? Impensable, pour mes deux partenaires, Veronika et Irena.

En revanche, prendre les contacts par téléphone semble pour elles d’une facilité déconcertante. Moi qui répète toujours plusieurs fois ma phrase d’introduction avant de passer un coup de téléphone me retrouve béate face à leur aplomb. Même pour contacter des personnes haut placées, leurs doigts composent les numéros sans trembler et leur voix s’élève, assurée.

Parfois, je ressens de la culpabilité à l’idée de leur céder cette tâche intimidante qui est celle du premier contact. Collaborer avec les Bosniens se révèle à la fois rassurant et extrêmement déstabilisant. Cela nous oblige à céder une grande part de contrôle sur notre travail. Nous ne pouvons pas établir nous-mêmes le contact, ni comprendre nos interlocuteurs lorsqu’ils nous racontent leur histoire en bosnien. Ils nous est même difficile de créer un lien avec eux, qui ne s’adressent directement qu’à nos coéquipiers interprètes.

Les journées sont longues et agréablement chargées. Entre ateliers sur le journalisme, cours de traduction et temps consacré aux articles, nous avons peu d’occasions de nous reposer ou de visiter la ville. Heureusement, je suis arrivée avec quelques jours d’avance, et j’ai pu découvrir à mon rythme ce pays, dont je ne connaissais que si peu de choses.

J’ai erré entre les bâtiments cubiques de béton gris, qui rappellent l’architecture soviétique du siècle dernier. J’ai observé les enfants s’amuser dans les petites aires de jeux des quartiers résidentiels, aux murs couverts de slogans nationalistes et de tags aux couleurs du club de foot local. J’ai commandé à dîner pour un prix en apparence dérisoire, dans des restaurants chics, où flotte une constante odeur de tabac. J’en garde l’image d’une clientèle bien habillée dansant joyeusement, la cigarette à la bouche, sur des chansons datant de l’ère yougoslave, entonnées par un petit groupe de musiciens.

J’ai en tête les regards curieux des habitants, eux qui ne voient pas de touristes tous les jours, à chaque fois que je parlais français dans la rue. Mais surtout, je garderai le souvenir des moments partagés avec tous les participants, Français et Bosniens confondus : la complicité, la bienveillance, le vivre-ensemble et la découverte de l’autre.